La question du recensement des castes

Hier je lisais dans le journal le fait étonnant que la caste allait finalement faire partie du recensement qui est actuellement en cours. Vous en avez peut-être entendu parler, l’Inde vient de se lancer dans la tâche gigantesque de recenser sa population qui dépasse maintenant le milliard d’habitants. L’objectif second étant de profiter du recensement pour doter ensuite chaque citoyen d’un numéro unique d’identité. Pour cela, pas moins de 2,5 millions de fonctionnaires ont été mobilisés pour accomplir cette collecte d’informations. Au-delà de dénombrer exactement la population (les anciens chiffres datant de 2001), ce recensement va également être une mine d’information sur les conditions sociales et économiques de la population. Une trentaine de questions doit être renseignée par foyer, aussi bien au niveau de l’état civil des résidents (nom, âge, sexe…) que de l’équipement de la maison (eau courante, électricité, toilettes, ordinateur, téléphone portable…).

Et donc l’autre information qui fait polémique est la mention de la caste. J’avoue que je suis très étonnée aussi par cette volonté. Les partisans de l’enregistrement de la caste revendiquent qu’ils veulent mettre fin aux discriminations en se basant sur les statistiques de castes pour rétablir les égalités. Pourtant on peut se demander si inclure cette information dans un recensement national ne revient pas à donner une existence et une importance au système de castes qui est censé être aboli ?

Il est vrai que la question des castes n’est pas si simple que ça. La constitution de l’Inde promulguée en 1950 établit l’égalité en droit de tous les indiens, cassant ainsi le système de castes qui prévalait alors. Je vous avais d’ailleurs parlé ici du livre « Intouchable » qui décrit les conditions de vie au début du XXe siècle de cette caste la plus basse : interdiction de rentrer dans un temple hindou, interdiction de prendre de l’eau dans un puits pour ne pas le souiller, tâches les plus ingrates à exécuter comme celles liées à la mort… donc depuis la constitution plus rien de cela ne doit exister, tous les individus en Inde naissent égaux. Alors ça c’est la théorie, mais dans la réalité, même si les choses se sont grandement arrangées, on est loin du compte. Les inégalités perdurent encore et pour lutter contre cela, de longue date, le gouvernement a mis en place une discrimination positive avec un système de quotas. Ainsi, au parlement, sur les bancs de la faculté, dans les administrations, on a un certain nombre de places qui sont réservées aux castes inférieures. Cette discrimination positive est bien le révélateur que tout n’est pas gagné. Pour preuve encore, j’avais découpé il y a quelques mois un article de journal qui m’avait marqué: il relatait qu’une femme dalit (une intouchable) ayant pris de l’eau dans un puits avait été sommée de payer une amende à la communauté de caste supérieure qui utilisait aussi ce puits qui était pourtant public !

Sinon pour ceux qui ne sont pas exactement au fait de tous les détails des castes, je vais tenter de faire un bref résumé de ce système plutôt complexe. On dénombre en effet des milliers de castes qui peuvent être regroupées dans quatre catégories, en partant de la plus valorisée :

  • les Brahmanes, dont sont issus les prêtres et les enseignants
  • les Shatriya qui fournissent les gouvernants et les guerriers
  • Les Vaishya, c’est-à-dire les commerçants
  • Les Sudras, ou artisans au service des trois premiers groupes

Et en dehors de ces groupes, on trouve les hors castes, qu’on appelle dalit ou encore intouchables et à qui sont réservées les tâches les plus ingrates et qui sont les plus défavorisés. A l’origine, le système des castes, inhérent à l’hindouisme, était basé sur les compétences de l’individu au travail mais depuis il devenu absolument héréditaire, ce qui rend le système beaucoup plus injuste.

Sinon nous, dans la perception que nous avons de l’Inde au quotidien, qu’est ce que cela donne exactement ? Et bien c’est un sujet assez mystérieux pour nous. D’après ce qu’on lit dans les journaux, comme ce dont je vous faisais part plus haut ou encore les récits de meurtres pour mariages inter-castes et aussi les histoires que l’on entend (comme notre ancien chauffeur qui a du enlever sa femme qui était d’une caste différente pour pouvoir se marier avec elle) , on a bien conscience que la ségrégation par castes existe encore mais elle est très abstraite pour notre regard. Il nous serait bien impossible de dire à quelle caste appartient tel indien (comme je rappelle la caste est maintenant héréditaire, elle n’a rien à voir avec les moyens financiers, un dalit pouvant faire des études, réussir dans les affaires et être riche) alors que je sais qu’entre eux les indiens « se décodent » dans la première minute. Il leur suffit d’échanger quelques informations, comme le nom, le lieu de naissance, le lieu d’habitation… pour qu’ils réussissent à se mettre mutuellement dans une case. En plus, c’est un sujet plutôt tabou ici, donc je n’ose pas trop en parler à des indiens et j’oserai encore moins demander à quelqu’un de quelle caste il vient. Cependant, on pourrait noter une exception pour les brahmanes qui placent d’eux-mêmes assez facilement au détour d’une phrase le fait qu’ils appartiennent à cette caste, qui est la plus noble…
Je pense qu’aussi à cause des castes certaines situations nous échappent. Récemment par exemple, alors que nous avions pris un taxi à Delhi pour aller dans un magasin de meubles indiens, nous demandons au propriétaire s’il vaut mieux demander au taxi de rester ou si on en trouvera un autre facilement. Là le propriétaire dit deux mots à notre taxi puis nous précise, « je lui ai dit de rester ». Nous avons été plutôt stupéfaits par la situation car vu le ton du propriétaire il ne semblait faire aucun doute qu’il allait rester, puisqu’il lui avait dit. Nous on se demandait si le taxi voulait ou pouvait, mais à priori ce n’était pas un problème puisque le commerçant lui avait « dit ».

Bien qu’il y ait encore de nombreux exemples de discrimination par la caste, à cause de la modernisation de la société indienne, cette séparation des personnes tend à s’estomper progressivement et heureusement. La problématique reste par contre plus forte dans les zones rurales, là où vit toujours la majorité de la population indienne. Il va falloir encore un peu de temps pour que les mentalités changent complètement…

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3 Commentaires

  1. Merci pour ce petit rappel sur les castes, c’est un sujet que je trouve à la fois mystérieux et passionnant…et ton témoignage est très intéressant.
    Par exemple, sais tu de quelle caste est ta maid ?

  2. Ma nouvelle maid est chrétienne (protestante exactement) donc elle ne rentre pas dans le système des castes qui est spécifique à l’hindouisme. Mais selon leur logique, elle est donc hors caste, soit une intouchable.
    Et Bhagya qui elle est hindoue, je ne sais pas exactement. Par contre elle me disait qu’elle mangeait de la viande, ce qui est interdit pour les plus hautes castes, elle doit donc appartenir soit à la caste des Sudras soit être Intouchable.

  3. Bonsoir,

    Je m’intéresse au débat des statistiques ethniques en France. Le cas indien, avec les castes, m’intéresse donc particulièrement. Avez-vous vu le questionnaire du recensement indien sur la façon de demander la caste ? Avez-vous des liens avec des journaux indiens en anglais relatif au débat dont vous parlez pour le recensement ?

    Merci beaucoup

    Stéphane

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